ÉDUCATION Comparaison des méthodes d'enseignement supérieur en France et en Grande-Bretagne

Howard Davies : «La sélection est nécessaire»
Ancien directeur général de la Confédération de l'industrie britannique, ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, Howard Davies est l'actuel dirigeant de la prestigieuse London School of Economics (LSE). Il explique au Figaro son point de vue sur l'enseignement supérieur français, qu'il connaît bien pour avoir un temps enseigné en classes préparatoires aux grandes écoles.
Figaro 03 septembre 2005

LE FIGARO. – Quel bilan comparatif dresseriez-vous de l'état de l'enseignement en France et en Grande-Bretagne en ce début de XXIe siècle ? Quels sont d'après vous les avantages et les inconvénients de ces deux systèmes pour faire face à la mondialisation ?

Howard DAVIES. – Si l'on regarde quelles sont les universités qui dominent la scène internationale d'après de récents classements ou publications académiques – les lead tables –, on constate que les universités britanniques sont mieux cotées que leurs homologues françaises. Une douzaine d'universités anglaises – dont Oxford, Cambridge, l'Imperial College et la LES en matière de sciences sociales – peuvent rivaliser avec les meilleures universités américaines. Toutes les études s'accordent par ailleurs pour re connaître une meilleure compétitivité universitaire en Grande-Bretagne qu'en France au plan du rayonnement international. Ses conclusions sont peut-être un peu hâtives dans la mesure où ces études sont élaborées pour une publication en langue anglaise. D'autre part, les revues publiant ces rapports – concernant quasi exclusivement les domaines économique et scientifique – sont essentiellement basées aux Etats-Unis et répondent à une certaine conception (anglo-saxonne et peut-être anglo-centrée) de l'excellence universitaire. Toutefois, le fait qu'un grand nombre de récipiendaires du prix Nobel soit issu de ce type d'enseignement supérieur prouve l'irréductibilité de ces études à une simple autocélébration du modèle anglo-saxon. Par ailleurs, dans l'éducation supérieure internationale contemporaine, l'anglais a accédé au statut de lingua franca, lui conférant un avantage inappréciable. Vouloir percer dans la recherche économique aujourd'hui, par exemple, suppose nécessairement une publication de ses travaux en anglais.

LE FIGARO. – Vous opposez-vous à l'idée selon laquelle l'harmonisation européenne puisse menacer les singularités des différents systèmes d'éducation en Europe ? D'après vous, le processus de Bologne constitue-t-il un progrès ?

Parfaitement. Si vous désirez être attractif pour attirer des étudiants et des professeurs étrangers, vous devez offrir des qualifications qui soient internationalement comprises. Refuser ce processus revient à se condamner à un fonctionnement en circuit fermé. Cette harmonisation semble d'ailleurs très profitable aux universités européennes, qui y gagneront en compétitivité internationale. Au fond, que dit le processus de Bologne ? Que nous devons standardiser notre système pour qu'il soit identifiable par le reste du monde. Du point de vue anglais, ce processus n'a pas fondamentalement modifié notre structure éducative, ses axes principaux se rapprochant beaucoup de notre modèle d'éducation supérieure fondé sur un cycle ternaire (bac, masters et doctorats).

LE FIGARO. – On peut donc dire que, au sein de l'UE, le système anglais était déjà le plus adapté à la mondialisation.

L'atout de la langue en est sans doute la raison évidente. D'autant plus que les systèmes d'enseignement supérieur britanniques et américains se révèlent, sinon identiques, du moins très similaires. En matière d'enseignement supérieur, les Etats-Unis fixent à l'évidence les normes et les critères. Même si les ressources dont bénéficient ces universités sont incroyablement supérieures aux nôtres.

LE FIGARO. – Avez-vous le sentiment que l'enseignement supérieur en France réponde aux critères de la compétition internationale ?

Certaines institutions françaises se sont adaptées très tôt au marché mondialisé. La LSE partage par exemple un programme de MBA avec HEC – où le niveau des étudiants est excellent – ainsi qu'avec l'université de New York. Nous avons aussi des diplômes communs avec Sciences Po – dont les élèves sont hautement compétitifs – et par l'intermédiaire duquel nous avons, par exemple, recruté récemment des étudiants chinois. Fondées elles aussi sur un recrutement international, beaucoup de grandes écoles françaises sont très compétitives sur le marché du travail globalisé. Cela dit, le fait qu'un grand nombre de facultés françaises ne répondent pas à ces critères ne saurait constituer un problème. Bien au contraire. Un pays a aussi besoin d'universités à échelle locale pouvant répondre aux besoins des industries du secteur. Il est normal qu'au sein d'un pays, seul un nombre restreint d'universités possèdent une vocation internationale.

LE FIGARO. – Cependant, au-delà de la question de l'internationalisation de l'éducation se pose également celle d'une libéralisation de l'enseignement supérieur. Nombre d'universités françaises ont des résultats médiocres et ne semblent pas offrir aux étudiants les meilleures chances pour réussir leur vie professionnelle.

Il y a une première raison à cela. La France souffre d'un taux élevé de chômage, il ne faut donc pas s'étonner que de jeunes diplômés connaissent une situation de précarité. Ce n'est pas le cas en Grande-Bretagne où, même si nous ne bénéficions pas d'une couverture sociale comparable à la vôtre, il existe un important marché du travail pour les jeunes diplômés, quelle que soit leur origine. Il faut donc ajuster les exigences exprimées vis-à-vis du système universitaire français au contexte économique national.

LE FIGARO. – Pensez-vous que certains aspects de l'enseignement supérieur qui ont été assimilés précocement par le système éducatif anglais restent des tabous en France ? La question de la sélection, par exemple.

Un système universitaire rétif au principe de sélection me semble peu rentable et donne lieu à un gaspillage que seuls les pays très riches peuvent se permettre. Au fond, seule l'Europe semble avoir adopté ce système non sélectif à la base, puisque pour entrer à l'université il suffit de justifier de l'obtention du baccalauréat. En Grande-Bretagne, il nous a toujours semblé qu'un tel système engageait des coûts exorbitants. C'est pourquoi nous avons adopté un système de rationnement. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre en charge dans nos universités un nombre considérable d'étudiants qui abandonneront leurs études par la suite. Nous préférons pratiquer une sélection dès l'entrée plutôt que d'accueillir des étudiants qui gaspilleront l'argent public sans avoir atteint pour autant un niveau d'étude satisfaisant. La sélectivité des universités ne fait chez nous l'objet d'aucune controverse mais au contraire d'un consensus de l'ensemble du spectre politique.

LE FIGARO. – De même, la participation des élèves et des familles au financement des études fait l'objet d'un vif débat en France.

Pour nous, l'éducation constitue avant tout un investissement qui se révèle dans la plupart des cas très rentable au plan financier, certes, mais aussi social et personnel. Au plan social, nous bénéficions tous du fait de vivre dans une société cultivée. Un journaliste, par exemple, a besoin que la société sache et aime lire pour exercer son métier. Du point de vue individuel, un MBA – formation très coûteuse – assure la plupart du temps à son récipiendaire une situation financière très confortable par la suite. Aussi est-il communément accepté qu'un MBA ne soit pas gratuit dans tous les pays. C'est vrai, par exemple, en France pour HEC.

LE FIGARO. – Que répondez-vous à ceux qui considèrent que le système anglais d'enseignement supérieur n'assure pas l'égalité des chances ?

a Grande-Bretagne distribue une quantité colossale d'aides destinées aux étudiants les plus défavorisés. Les plus démunis ne déboursent pas un penny pour étudier dans nos universités. La bourgeoisie est la plus concernée par le système de financement que vous évoquez, qui a d'ailleurs été proposé et défendu par le Parti travailliste. Ce sont surtout les conservateurs qui s'y sont opposés. Cela touche surtout les classes moyennes. Avec cet arrangement, les classes laborieuses ne paient pas davantage, bien au contraire. D'autre part, pour les classes les plus riches, cet investissement universitaire ne change pas grand-chose à l'état de leur richesse. L'ancien système était extraordinairement généreux pour les classes moyennes. Et c'est précisément sur le bien-être de la middle class que se fonde le système français. Je ne suis pas opposé en soi au financement total par l'Etat de l'enseignement supérieur. Encore une fois, la question est de savoir si l'on peut se le permettre. Il ne me semble pas que la France en ait les moyens, étant donné les déficits du Trésor public, le taux élevé de chômage et les problèmes liés à l'immigration. Elle ne peut pas dépenser des sommes colossales pour l'éducation supérieure des classes moyennes. C'est une question de priorité. Et «gouverner, c'est choisir».


Mis à jour le 20/03/2007 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr)